L’association Éclore démarche actuellement des recteurs pour leur proposer un projet expérimental en classe maternelle. Elle prétend avoir le soutien du cabinet de la ministre, ce qui reste à vérifier, et avoir recueilli l’avis favorable de plusieurs académies.
Jusque-là, on pourrait juste s’interroger sur les glissements qui ont conduit à réduire l’initiative publique en matière de recherche pour laisser la place à l’initiative privée mais les choses prennent une autre dimension quand on perçoit que l’expérimentation n’est en définitive qu’une opération visant à faire légitimer par l’institution les principes de la pédagogie Montessori.
Dans l’apparence du discours tenu, il s’agit de mesurer objectivement les effets de cette pédagogie et on pourrait se réjouir d’une telle tentative d’objectivation dans un contexte où les croyances, les préjugés et les stratégies de l’entre soi social suffisent souvent à promouvoir la pédagogie Montessori.
Dès la présentation de l’opération, le doute s’installe sur l’objectivité des intentions.
Le développement pédagogique du projet sera confié à Charlotte Poussin, auteure de plusieurs ouvrages de promotion de la pédagogie Montessori et ancienne directrice d’école privée Montessori. Sa notice biographique sur le site de l’Association Montessori de France, adhérente à l’Association Montessori Internationale nous indique qu’elle « est motivée pour faire connaître la philosophie Montessori aux familles et aux professionnels de l’éducation afin de contribuer au renouveau du système éducatif français ». Voilà donc une recherche d’objectivité scientifique qui est confiée à quelqu’un qui affirme, par ailleurs, son engagement militant pour la cause d’un renouveau du système éducatif français par la méthode Montessori.
Le doute augmente quand on examine la liste des membres du comité directeur.
Sa présidence est confiée à Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne et président de l’association « Agir pour l’École » qui avait soutenu et financé le projet de Céline Alvarez à Gennevilliers.
Ceux qui seraient tentés de défendre les pédagogies alternatives au nom de la liberté pédagogique devraient se méfier. Laurent Bigorgne a une conception particulière de la liberté pédagogique car il estime que seules les méthodes éprouvées scientifiquement sont légitimes. C’est là que les choses deviennent plus inquiétantes parce que tout le monde sait qu’en matière de pédagogie, la complexité de l’apprentissage ne pourra jamais se résoudre dans une vérité scientifique unique. En tous cas, on comprend l’enjeu d’une preuve scientifique à administrer quant à la pédagogie Montessori : ne plus faire de son usage le choix possible d’un enseignant mais une préconisation ministérielle. Nous avons eu les bonnes pratiques … nous aurons la bonne méthode.
Le reste du comité directeur (Jean-Michel Blanquer, Nicolas Froissard, Olivier Brault, entre autres) confirme que le projet Éclore est l’instrument d’un groupe de pression dont les intentions habituelles sont claires : développer des alternatives aux services publics sur un modèle d’entrepreneuriat social mais dans les perspectives de créer les conditions nécessaires à la libéralisation du marché scolaire. Et cela pas tant en développant des écoles privées qu’en ouvrant des marchés privés au sein du service public.
La manœuvre devient évidente à l’énoncé des objectifs. Alors qu’on se donne tous les atours d’une méthode rigoureuse et objective, les finalités sont énoncées sans ambages : « La démarche de l’association Éclore est de mettre en place une expérimentation favorisant le déploiement de la pédagogie Montessori dans le système de l’Éducation Nationale ».
Le prestigieux nom de Stanislas Dehaene suffira-t-il à servir de caution scientifique à une expérimentation qui annonce son résultat, avant même d’avoir conduit la moindre mesure et la moindre analyse ? (suite de l’article Médiapart)