Ils ne sont pas du tout médiatisés, beaucoup moins nombreux que les enseignant-e-s, les infirmier-e-s et les cheminot-e-s.
Leurs témoignages dans cet article mettent en lumière les conséquences des suppressions d’emploi et des réductions de budget dans la fonction publique et leur impact sur le terrain.
Impact qui nous concerne toutes et tous

La fonction publique se mobilise au côté des cheminots ce jeudi 22 mars. Et nombre d’agents du ministère de la Transition écologique vont participer aux manifestations. Pourquoi ? Ils subissent la baisse des effectifs et une dégradation des conditions de travail. Qui entraînent l’affaiblissement de la politique de l’environnement.
Dans le rouge syndical des cortèges, il y aura aussi un peu de vert, ce jeudi. Les syndicats des agents du ministère de la Transition écologique et solidaire et de ses agences appellent à la grève et à la manifestation aux côtés des cheminots et des autres fonctionnaires. « Les mesures annoncées — coupes budgétaires et suppressions massives de postes — font peser de graves menaces sur l’exercice des missions et sur les conditions de travail déjà grandement dégradées des agents », note le communiqué commun des syndicats FO, CGT, FSU et Solidaires [1].
Le gouvernement lui-même l’avait annoncé lors de la présentation du budget : après le ministère de l’Économie, celui de la Transition écologique et solidaire est en 2018 le principal contributeur à la réduction des effectifs de la fonction publique avec la suppression prévue de 828 postes.
« On le constate pour toutes les missions eau et biodiversité, il y a eu une diminution nette des postes depuis dix ans, dit Philippe Combrouze, secrétaire général de la CGT Équipement et Environnement. C’est dogmatique : il faut supprimer des personnels. » Tant les services du ministère en lui-même (Dreal [directions régionales de l’environnement, aménagement et logement], DDT [directions départementales des territoires], Dirm [directions interrégionales de la mer]) que les établissements publics qui en dépendent (Météo France, Parcs nationaux, IGN [Institut géographique national], ONCFS [Office national de la chasse et de la faune sauvage], Agences de l’eau, etc.) sont touchés.

Depuis 2010, 25 % de postes en moins dans les Agences de l’eau
Le syndicaliste enchaîne les chiffres. Du côté des établissements publics, « 92 emplois ont été supprimés en 2018 dans les Agences de l’eau, l’ONCFS et les Parcs nationaux. En 10 ans, les effectifs des établissements publics sur les missions eau et biodiversité ont perdu 143 postes, alors qu’il a été créé une Agence des aires marines protégées comprenant désormais neuf parcs marins, trois nouveaux parcs nationaux et l’Agence française de la biodiversité. L’objectif, à la création des parcs marins, était de mettre 25 à 30 agents par parc. Mais aujourd’hui, ce sont des parcs de papier. Dans certains parcs d’outre-mer, il n’y a qu’un seul emploi d’agent. »
Autre exemple du côté des fonctionnaires chargés du réseau de sites protégés par le programme Natura 2000. « Il n’y a que 227 agents pour 1.760 sites, faites la division », poursuit-il.
« Dans les Agences de l’eau, on est passé d’environ 1.900 emplois en 2010 à un objectif de 1.420 emplois en 2022 », note à son tour Stéphane Stroffek, membre du bureau CGT des Agences de l’eau. Soit 25 % de postes en moins en 12 ans. Cela s’ajoute à des prélèvements sur le budget de ces agences, dont les conséquences ont déjà été détaillées par Reporterre.

Le ministère de la Transition écologique et solidaire, à Paris.
Les réductions d’effectifs ne datent donc pas d’aujourd’hui. Thomas Lebard, du Syndicat national de l’environnement-FSU, et technicien du Parc national du Mercantour, fait remonter cette politique à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) sous la présidence de Nicolas Sarkozy : « En 2009, nous étions 92 employés à temps plein. Aujourd’hui, à la suite de la RGPP et de la Modernisation de l’action publique sous Hollande, nous sommes 75. Et on nous annonce dix suppressions de poste d’ici 2022. » Sous l’ère Macron, le programme s’appelle « Action publique 2022 ». Thomas Lebard détaille les postes ciblés : « Ce sont principalement les services support : la maintenance informatique, le secrétariat, l’administratif… » Pourtant, « l’organigramme reste le même, ajoute-t-il, donc les tâches se répartissent entre les agents restants. Ce qui fait que les gens de bonne volonté acceptent d’occuper trois postes. »
La même situation est décrite au sein des Agences de l’eau par Stéphane Stroffek : « On est obligés de mettre des gens qui vont à la fois s’occuper des micropolluants, de la restauration des milieux aquatiques, etc. Par exemple, ici, on n’a plus les moyens d’avoir un expert des plans d’eau. Alors, on fait des postes multitâches. »
Le gouvernement, lui, parle de « mutualisation » des compétences, de « regroupement » des services. « Par exemple, en région, cela veut dire qu’un agent de terrain qui auparavant couvrait l’Auvergne va devoir couvrir toute l’Auvergne-Rhône-Alpes. C’est beaucoup plus de temps passé en déplacements », témoigne un syndiqué de chez FO, travaillant dans une Dreal . Il préfère rester anonyme, redoutant les pressions de sa direction. « On est clairement en sous-effectif, on travaille en mode dégradé. Je fais en moyenne 30 heures supplémentaires par mois, non récupérées, non rémunérées », ajoute-t-il.
Une « atmosphère délétère »
Accablés de travail, les agents ne peuvent plus mener à bien leurs missions. La conséquence visible au sein des services est l’augmentation des risques psychosociaux. Julien Guilloux, délégué du SNE-FSU au Parc national des Écrins, raconte : « En janvier 2017 a ouvert un bureau d’études des risques psychosociaux. En quatre ans, nous avions eu quatre dépressions. » La pression exercée sur les travailleurs conduit à une « atmosphère délétère » aux yeux de Thomas Lebard. Ambiance qui, par cercle vicieux, pousse les employés à partir : « Au début, on accepte de prendre un poste pour dépanner. Sauf que le provisoire dure… Avec toute cette pression, c’est sûr qu’il y aura des candidats au plan de départ volontaire. »
« Il y a des burn-out, les agents demandent des mutations bien plus rapidement qu’avant, de plus en plus de fonctionnaires disent qu’ils vont quitter la fonction publique », confirme, du côté du ministère, notre agent FO travaillant dans une Dreal.
Quand il n’y a plus d’agents, on délègue les missions au privé.
« Pour moi, Action publique 2022, c’est privatiser le maximum de missions », estime-t-il encore. Pour pallier ce manque d’effectifs, les agences environnementales passent de plus en plus par des entreprises de sous-traitance. « Vous faites un appel à la concurrence et vous choisissez le moins-disant. Les mesures de qualité de l’eau peuvent être déléguées à des bureaux d’étude privés. Mais leur objectif, c’est de rapporter de l’argent. Ils vont faire quatre ou cinq suivis dans la journée quand nous n’en faisons qu’un ou deux : c’est pas qu’on travaille moins vite, c’est qu’on prend le temps de bien faire », décrit cet agent.
Un choix qui, paradoxalement, peut augmenter les coûts : « Pour le même service rendu, les boîtes d’intérim nous coûtent 20 % plus cher », explique Thomas Lebard, au SNE-FSU. Le technicien de l’environnement du Mercantour pointe les effets parfois cocasses de la privatisation des services support : « Il nous est déjà arrivé de solliciter, par manque de personnel, une agence de communication, qui a réussi l’exploit d’illustrer le Mercantour avec des photos du parc des Écrins ! »
Mais l’affaire devient bien plus sérieuse quand il s’agit de fonctions régaliennes, telles que celles consistant à assurer l’application du droit de l’environnement. Les agents de l’État doivent, entre autres, contrôler qu’une usine respecte les normes d’émission, surveiller l’état des cours d’eau et rechercher l’origine des pollutions, vérifier que les dossiers de construction des ponts, routes, fermes, etc. respectent la loi sur l’eau, que les stations d’épuration rejettent une eau propre, que les pesticides sont bien utilisés, que les épandages dans les champs se font à la bonne saison…
« Plus de la moitié du temps, les agents font de la police judiciaire de l’environnement. Nous sommes des fonctionnaires exerçant des fonctions régaliennes, nous voulons qu’elles restent dans le giron de l’État, revendique Philippe Vachet, secrétaire général du Snape-FO (Syndicat national des personnels de l’environnement).Cela ne sert à rien d’avoir une réglementation si on n’a pas les moyens de la faire appliquer… »
« Moins d’agents, c’est moins de protection des milieux »
Ainsi, délégation des missions au privé et dégradation des conditions de travail aboutissent à une dégradation des services rendus, et in fine, de la protection de l’environnement, estiment les syndicats. « Moins d’agents, c’est moins de protection des milieux », résume Philippe Vachet.
Dans les bureaux, cela conduit à traiter les dossiers délicats beaucoup trop rapidement. Julien Guilloux dénonce des « délais d’instruction irresponsables ». Un exemple : « J’ai dix jours de travail pour donner des informations sur un projet de microcentrale, et donc sur une rivière et ses milieux… en plein hiver, sous trois mètres de neige… Comme je n’ai pas le temps de me rendre dans la zone en question, je dois travailler de mémoire. »

Parc national du Mercantour.
Même hors des Parcs nationaux, plusieurs agents ont fait part à Reporterre de délais similaires pour des dossiers de plus de 1.000 pages, dans le cadre de la création d’une usine, d’une route, d’une ferme de taille importante, etc. « En conséquence, des impacts sur l’eau et la biodiversité peuvent nous échapper », regrettent-ils en cœur.
Sur le terrain, les choses ne vont guère mieux. Pour les Agences de l’eau, l’année 2018 marque à la fois une réduction sans précédent des effectifs (48 postes en moins) et un prélèvement supérieur sur leur budget. « On est en train de fragiliser une des politiques environnementales qui fonctionne bien, alerte Stéphane Stroffek à la CGT. On constate une baisse des micropolluants, les stations d’épuration fonctionnent mieux, m

 

ais tout cela est en danger. Alors que des projets, par exemple de restauration des milieux, sont ficelés, prêts à être lancés, l’Agence dit à ses partenaires d’attendre un an de plus parce qu’il n’y a plus les financements… »
Thomas Lebard décrit le cas du Mercantour : « Comme nous avons perdu des postes de garde, qui s’occupaient de la propreté des lieux en nettoyant les détritus des bivouacs et des campings, il y a des endroits du parc où ne nous nous rendons plus, qui sont devenus vraiment bordéli

ques. Et comme nous n’y sommes plus, les gens cueillent des espèces de fleurs protégées. »
Car, parmi les autres victimes des réductions d’effectifs, on compte… la vie sauvage. Thomas Lebard rapporte un cas concret : « Il y a peu, j’ai trouvé dans le parc une carcasse de loup. J’aurais aimé la rapporter pour autopsie, afin de savoir si l’animal était mort de manière naturelle ou non. Or, une telle mission nécessite un véhicule, dont nous n’avons quasiment plus, et du personnel, ce qui suppose d’abandonner une autre tâche pour s’occuper de celle-ci… » Ce qui l’amène à un sombre constat : « On n’a plus les moyens d’absorber les imprévus du vivant. Paradoxal, pour une agence du vivant. »
Autant de raisons pour lesquelles les fon

ctionnaires de l’environnement assurent vouloir manifester ce jeudi, au-delà des traditionnelles revendications salariales et statutaires. Un appel est lancé aux citoyens, afin de préserver le service public de l’environnement. « Le gouvernement dit qu’on est des nantis, on sert de boucs émissaires, constate amèrement notre syndicalis

te anonyme de chez FO. Pourtant, on n’est pas des tire-au-flanc. Pendant les crues, pour alerter en direct les autorités sur le niveau des cours d’eau, les agents du dispositif vigie-crues sont restés à travailler toute la nuit. Il n’y a même pas eu un merci. Encore moins de rattrapage des heures. Les citoyens ne voient pas cela. »