Fonctionnaires : quel bel avenir ?
Alors que les néolibéraux démobilisent les salariés du privé en promouvant un modèle d’entreprise où celle-ci est réduite à satisfaire les actionnaires, il est temps d’offrir aux fonctionnaires un nouvel horizon : moins bureaucratique, plus soucieux d’associer les usagers.
Gloire aux riches et guerre au peuple, telle semble être la logique d’Emmanuel Macron. Après les chômeurs, le droit du travail protégeant les salariés du privé, c’est aux fonctionnaires qu’il s’en est pris. Les récents attentats ont mis en valeur le rôle irremplaçable des policiers, des pompiers et urgentistes, des enseignants aussi afin d’éclairer nos enfants. Mais il faut aller au-delà. C’est l’utilité économique même des fonctionnaires qui mérite d’être réhabilitée.
Les fonctionnaires sont productifs
Alors que la responsabilité d’un ministre est de favoriser le « vivre ensemble », Emmanuel Macron attise l’opposition entre « ceux du public » et « ceux du privé ». A y réfléchir, nous sommes pourtant tous dans le même bateau. Loin de l’idée reçue sur le sujet, les fonctionnaires sont productifs. Leur valeur ajoutée (la contribution au PIB des administrations) s’est élevée à 360 milliards en 2014. C’est colossal, cela représente un tiers de celle des sociétés non financières (1 074 milliards). Cette production se retrouve en consommation de services publics individualisables (éducation, santé, culture… à hauteur de 53 %) ou collectifs (police, armée, justice, route… pour 47 %). La différence essentielle entre public et privé porte sur le mode de consommation. Les produits marchands sont vendus, tandis que les services publics sont accessibles gratuitement. On ne paie pas à l’entrée de l’école ou de l’hôpital. Libre d’accès, cette consommation n’est cependant pas gratuite au fond, elle doit être payée. C’est le rôle de l’impôt. L’impôt stricto sensu (on ne parle pas ici des cotisations sociales reversées aux ménages sous formes de retraites, d’allocations chômage) joue donc le même rôle que le prix du croissant pour un boulanger. Il permet de payer le travail productif du fonctionnaire.
Les fonctionnaires coûtent moins cher
Les missions publiques seraient mieux assumées par le privé soutiennent les libéraux. Outre que cela creuserait considérablement les inégalités d’accès, c’est oublier que le public est moins coûteux pour trois raisons. Il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer tout d’abord. La privatisation des sociétés d’autoroute a coûté très cher aux citoyens (un peu moins d’impôts mais beaucoup plus de péages) ; les hôteliers pressurés par les centrales privées le seraient moins par un office public de réservation. Les salariés qualifiés du public sont payés en dessous de ceux du privé ensuite. Un ouvrier ou un employé y est légèrement mieux payé : 1 634 euros nets en moyenne dans la fonction publique territoriale, qui en compte beaucoup, contre 1 619 euros dans le privé. Mais les cadres qui sont nombreux dans le public (éducation oblige) le sont beaucoup moins : 3 054 euros nets dans la fonction publique d’Etat (où sont les enseignants) contre 4 033 euros dans le privé. Les économies d’échelles en troisième lieu. Aux Etats-Unis, les dépenses de santé (privatisées à hauteur de 50 %) représentent 17 % du PIB contre 11,7 % en France. Pourquoi ce surcoût alors que l’espérance de vie à la naissance y est inférieure de plus de trois ans à celle de l’Hexagone ? Car le privé coûte cher : des milliers d’actuaires vont démarcher les entreprises pour négocier leurs assurances. En France, le même barème de cotisations s’applique à toutes les entreprises, ce qui au passage garantit l’égalité entre elles.
Les services publics réduisent les inégalités
On vient de le voir, le travail dans le public est moins inégalitaire. La remise en cause du statut signifierait baisse des salaires et précarité pour les fonctionnaires du bas de l’échelle et forte hausse pour certains. Emmanuel Macron est bien placé pour le savoir : les écarts de salaire dans une banque sont bien plus élevés que dans la fonction publique. Mais ce qui vaut pour le travail vaut pour la consommation. Celle de services publics réduit massivement les inégalités. Les 20 % les plus riches ont un revenu primaire (salaire, revenu du capital), 8,1 fois plus élevé que les 20 % les plus pauvres. Les prélèvements (impôts directs et cotisations) réduisent ces inégalités à 7,6. Mais, c’est surtout par la dépense publique (cette grande galeuse) qu’elles sont réduites : on passe finalement à3,2grâce aux prestations sociales et à la consommation de services publics.
Le statut évite retraites anticipées et chômage des seniors
Alors que le Medef a plaidé et a obtenu le recul de l’âge de la retraite, les entreprises continuent à se délester de leurs seniors. Le taux de chômage a fortement augmenté chez les 55-64 ans depuis 2007 (de 4,4 % à 6,4 %). L’emploi à vie a ses rigidités, mais celles-ci ont un mérite : elles obligent à former, à faire progresser, à maintenir les capacités de travail des salariés, ce dont les entreprises privées se délaissent trop souvent en reportant sur la collectivité (l’Unédic) leur « gestion » des seniors, après les avoir usés sans scrupule.
Le statut protège du précariat
La remise en cause concomitante du code du travail pour le privé et du statut des fonctionnaires n’est pas anodine. Pour les libéraux, l’emploi doit être flexible. C’est oublier que le bel ouvrage suppose apprentissage, coopération, innovation, toutes choses que des travailleurs jetables ne peuvent réaliser. Que gagnerait la société à généraliser la précarité chez ses infirmières, ses enseignants ? Les études des sociologues et des psychologues du travail le soulignent : un travailleur est d’autant plus efficace, investi dans son travail, qu’il y est respecté, reconnu. La fonction publique repose sur le système de la carrière (avec emploi à vie garanti) ou sur celui de l’emploi ouvert (avec contrat de droit commun). La France, afin de garantir l’intégrité du fonctionnaire (le maire de Béziers ne peut ainsi changer à sa guise ses agents), privilégie le premier modèle, même si un volant de non titulaires existe (de l’ordre de 20 %). Mais dans les autres pays, les salariés du public ne sont pas sans statut. Ils bénéficient souvent de conventions collectives leur assurant la stabilité de leur emploi, à l’instar, en France, des salariés de la SNCF ou d’EDF (qui ne sont pas fonctionnaires), mais aussi des banques. De nombreux salariés du privé souffrent de la précarité : la priorité n’est-elle pas de réduire celle-ci, de faire converger les statuts par le haut ?
Quelle réforme du public ?
Comment résorber la césure entre public et privé dont souffre, il serait vain de le nier, la France ? Cela passe par la réhabilitation de la dépense publique (pourquoi la hausse des dépenses d’automobiles serait-elle bonne pour l’économie et pas celle pour la santé ?). Mais il faut aller plus loin. Dans l’idéal, il serait mieux de vivre dans une société où, le plein-emploi aidant, chacun pourrait assumer (s’il le souhaite) des missions de services publics à un moment de sa vie, en facilitant effectivement les passages entre public et privé. Mais le plein-emploi suppose des politiques macroéconomiques aux antipodes de celles menées depuis trente ans. De même, si la grande majorité des fonctionnaires font leur travail avec dévouement, il y a bien lieu d’en remobiliser certains. Comment s’y prendre ? Les néolibéraux démobilisent les salariés du privé en promouvant un modèle d’entreprise où celle-ci est réduite à satisfaire les actionnaires. Ils démobilisent aussi les agents publics par leurs discours culpabilisant et par leurs règles de management (souvent coûteuses) importées du privé. Offrir aux fonctionnaires un nouvel horizon, moins bureaucratique, plus soucieux d’associer les usagers, afin qu’ils s’adaptent toujours mieux pour assumer leurs missions traditionnelles, mais aussi de nouvelles missions, dont l’écologie (c’est un office public américain qui a permis de lever le lièvre Volkswagen) : ce serait un beau projet mobilisateur. Encore faudrait-il pour le porter des dirigeants préoccupés par la chose publique (Res publica).
Par Christophe Ramaux et Henri Sterdyniak Membres du collectif d’animation des Economistes atterrés